Clairvivre, une cité utopique dans la guerre

L'action de Marguerite Laroche s'inscrit dans le cadre spatial de la Cité sanitaire de Clairvivre.

La Création

           A l'origine, Clairvivre est une cité pour les malades de la tuberculose affectés par les gaz toxiques diffusés lors de la Première Guerre Mondiale. Elle fut construite sur l'exemple de Papworth, une cité sanitaire, en Angleterre que le professeur Léon Bernard a visité en 1922. En 1925, il y retourna avec Albert Delsuc. Celui-ci en parla au docteur Henry Robert Heitzemann, un inspecteur de l' hygiène pour la Seine, militant communiste, qui fut enchanté par le projet de construire une cité semblable en France.
Lors du Congrès du FNBCP ( Fédération Nationale des Blessés du Poumon et Chirurgicaux) en 1929, l'étude du village sur le modèle de Papworth fut présentée. En Juin 1930, le Sénat vota un budget pour cette cité. Celle-ci produirait tout ce dont elle aurait besoin et serait composée de cinq milles habitants. Albert Delsuc choisit de construire sa cité en Dordogne, sa terre natale dans laquelle il avait des relations politiques. Le projet fut accueillit avec méfiance et hostilité par les Périgourdins, ceux-ci ayant peur de la tuberculose. Il finit par réussir à acquérir des terrains sur le domaine de la forêt de Born.
Les travaux commencèrent en 1931. Le chantier était dirigé par l'architecte Pierre Forestier. La cité fut appelée Clairvivre et intégrée à la commune de Salagnac. Elle fut inaugurée le 30 Juillet 1933. Elle était composée de trois types de quartiers répondant au projet de la FNBPC: vivre, guérir, travailler, dans un esprit communautaire:
- Des pavillons confortables, à l'architecture avant-gardiste pour permettre aux patients de vivre avec leur famille;
- Un grand hôtel-sanatorium et un dispensaire hôpital où les malades reçoivent les soins;
- Des lieux de travail, tels qu'une buanderie, une imprimerie, des abattoirs...
La définition d'Albert Delsuc de sa cité était: " Clairvivre est une oeuvre de paix et de fraternité crée par les malades pour les malades, une ville de clarté, de travail et de gaieté" .






A la fin des années 1930, la vocation d'assistance de la cité se renforça sous l'effet des tensions internationales: Avant la Deuxième Guerre Mondiale, une guerre civile frappa l'Espagne. Les autorités françaises demandèrent à la cité d'aider les Républicains malades et blessés qui voulaient se réfugier en France. On réquisitionna des pavillons et les habitants s'organisèrent pour leur fournir l'aide demandée.

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L'évacuation de l'Alsace Lorraine

           En 1939, le gouvernement français décida de faire évacuer toutes les régions riveraines de l'Allemagne, ainsi, la Dordogne fut désignée comme terre d'accueil pour le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle. L'hôpital civil de Strasbourg se retrouva à Clairvivre en septembre 1939, la majorité des services s'y installèrent. Il y avait des professeurs de clinique, des assistants universitaires, des chefs de clinique assistants, des internes et des externes. Peu à peu, l'hôpital put accueillir cent cinquante malades et disposa à nouveau de quatre cent trente-cinq places pour la maison de retraite et l'orphelinat. Les tuberculeux étaient toujours présents. Lorsque la "drôle de guerre" fut terminée, l'hôpital de Strasbourg commença son retour là-bas à partir du 1er septembre jusqu'au 21 octobre 1940. Mais certains comme le professeur Fontaine, refusant la domination allemande restèrent à Clairvivre.
Les locaux étaient vides, il fallut attendre le 27 août 1940 pour qu'une commission administrative décide de maintenir un hôpital de cent vingt lits pour les réfugiés en Dordogne. L'hôpital fut opérationnel en octobre 1940 grâce à la bonne volonté des professeurs de cliniques, de leurs collaborateurs et des Soeurs ("de la Charité de Toussaint"). Clairvivre accueillit Irène Joliot-Curie, la femme de Frédéric Joliot-Curie, un savant du centre des études nucléaires secrètes, qui dût s'enfuir de Paris avec l'invasion allemande et installer son centre de recherche à Clermont-Ferrand, et cacha leur radium pour qu'il ne tombe pas aux mains des Allemands.

Clairvivre durant la Seconde Guerre Mondiale
L'imprimerie et les organisations de Résistance armées

           La création de la Légion Française des Combattants, organisation vichyste d'anciens combattants, condamnait à la disparition toutes les organisations nées après la guerre 1914-1918. La FNBPC fut dissoute et Albert Delsuc ainsi que certains de ses collaborateurs durent quitter la cité. L'intendant, le Général Poirel, et son adjoint le Capitaine Selvez, futurs résistants, prirent alors la direction de Clairvivre. Ils ne virent qu'une solution pour s'en sortir: devenir l'imprimerie officielle de la Légion. Les Allemands qui la considéraient comme une organisation paramilitaire l'interdirent en zone occupée, mais elle servit en zone libre. Elle engagea de nombreux apprentis pour occuper les malades et continuer ainsi à faire vivre la cité. L'imprimerie publia notamment les thèses de doctorat des internes de l'hôpital, la documentation de la Légion et les documents de propagande. Elle ferma les yeux sur la présence des réfugiés israélites et celle des réfractaires au STO.
Le fait que Clairvivre soit isolée, au milieu des bois, et une cité sanitaire pour les tuberculeux favorisa le développement de différents mouvements de résistance.
Lorsque le gouvernement supprima tous les partis politiques, des communistes, des employés et des malades se rassemblèrent et constituèrent le groupe FTPF ( Francs Tireurs Partisans Français) de Clairvivre.
A la fin de l'année 1942, l'AS (Armée Secrète) s'organisa dans le nord de la Dordogne. Son rôle était surtout de rechercher des contacts, d'obtenir des renseignements, de récupérer des armes, de fabriquer de faux papiers et d'obtenir des parachutages. Après l'invasion de la zone libre, ils luttèrent contre les collaborateurs, les miliciens et la gestapo. Des militaires de métier comme le Capitaine Selvez, formaient tous les jeunes maquisards. Les activités de Selvez le rendirent suspect aux yeux des Allemands qui vinrent le chercher à Clairvivre en avril 1944. Comme il était absent, ils arrêtèrent le Général Poirel qui fut déporté. Selvez prit alors sa place comme directeur de la cité. La Douzième compagnie, Bataillon Violette de la Brigade R.A.C naquit à Clairvivre.
Les habitants de Clairvivre prirent l'annonce du débarquement du 6 juin en Normandie comme la fin de la guerre, et les maquisards, réfugiés ou réfractaires au STO relâchèrent leur attention. Mais le 7 juin 1944, trois jeunes médecins: les docteurs Schreiber, Labrue et Erhart furent tués au "Fer à Cheval", non loin d' Excideuil. Les circonstances de cette tragédie ne sont toujours pas élucidées.
Les hommes de la Douzième Compagnie, dirigés par le Capitaine Selvez menèrent de nombreux combats au Puy des Fourches à Périgueux ( du 15 au 18 août 1944) et vers Bordeaux. Au Pizou, une bataille contre les Allemands fit cinq morts, dont le Capitaine Selvez. La Douzième se battit à Angoulême, Cognac, Saintes, puis se retrouva sur les côtes de l'Atlantique, elle particia à la libération de Royan et de l'Ile d' Oléron. Puis ils bloquèrent les routes pour empêcher l'ennemi de rejoindre l' Ouest de la France. Le 10 août 1986, on inaugura une stèle en honneur aux tués de la Douzième Compagnie, Bataillon Violette - Brigade R.A.C.

L'hôpital et les médecins

           Le professeur Fontaine, étant au service de la Résistance, fit de l'hôpital des réfugiés l'hôpital du maquis. Le service de chirurgie était très important; il occupait plus de la moitié des lits. Cent cinquante-six opérations furent pratiquées d'octobre 1940 à avril 1941; en 1943, leur nombre s'éleva à trois mille trois cent vingt. Le pavillon psychiatrique cachait des Israélites, des réfractaires au STO et des résistants recherchés. A partir de 1943, les maquisards furent soignés pour des blessures par balles. Le professeur Fontaine ne pouvait pas le mentionner dans leur fiches, alors il y inscrivait autre chose. Durant leur convalescence, les maquisards blessés étaient envoyés chez les Auzy, le garde forestier et sa femme. Lorsque les blessés ne pouvaient pas être transportés, leur état étant trop grave, on inscrivait sur la porte de leur chambre: "Typhus" (maladie très contagieuse) de telle sorte qu'aucun policier n'ouvre la porte. Dans les registres d'administration qui pouvaient être contrôlés par le gouvernement, le "coup de fourche" devint la justification principale des hospitalisations. Il fallait fournir de faux papiers aux maquisards, les nourrir et inhumer les morts tout en évitant les papiers compromettants. Ils manquaient de médicaments et d'anesthésiants, c'est pourquoi ils utilisaient exclusivement de l'éther. Le professeur Fontaine était capable d'opérer vingt-quatre heures d'affilée et avait une bonne faculté de récupération ce qui faisait de lui un homme à la hauteur des exigences de son service et de sa situation. Les principales opérations de Résistances étaient suivis par un camion de médecin pour pouvoir commencer à soigner les blessés sur place ce qui sauva bon nombre de vies.
En juin 1945, l'hôpital des réfugiés retourna à Strasbourg. La faculté de médecine retrouva une activité régulière dès le 1er octobre 1945.